Citoyens du trottoir, floating people, laissés pour compte, "marché d'hommes" (cho nguoi), parias, sdf
Beaucoup de migrants arrivent à Hà Nôi sans emploi et n'en trouvent pas pendant de longs mois. Ils rejoignent les bataillons de pauvres gens, qui chaque matin s'asseoient en silence le long de la rue Giang Vo dans l'espoir d'être embauchés quelques jours, même quelques heures, comme ouvriers, maçons, peintres, porteurs ou déchargeurs de camion. Sous-prolétariat de l'économie informelle, ils gagneront peut-être quelques sous, mais la somme sera d'autant plus minime que le recruteur en prélèvera la moitié. Ce Hà Nôi de la précarité est sans cesse chassé par la municipalité. Mais la phalange immense de ceux qu'on appelle les "quatre vingt dix mille"(cuu van) en référence au numéro de la carte d'un jeu populaire (bât), qui représente un portefaix, reste fidèle au rendez-vous du petit matin. Tous ces gens vivent sans argent et sans travail, munis de papiers, qui ne sont pas en règle, et qui ne peuvent pas l'être, car le changement de domicile n'est autorisé que si l'on dispose déjà d'un travail, et que c'est précisément parce qu'ils n'ont pas de travail qu'ils sont venus dans la capitale....Pour échapper à la police et s'entraider, ces migrants désargentés se regroupent sur la berge du Fleuve Rouge côté ville au sein d'une vaste zone, qui échappe en grande partie au contrôle du comité populaire de Hà Nôi. Les populations illégales se sont installées principalement sous le tablier du Pont Long Biên, ou de l'autre côté de la digue du Fleuve Rouge; lors des crues et des inondations, ils s'installent temporairement sur les trottoirs et aux coins des rues.
Ils louent leurs bras sur les
rues de Hanoi
On appelle ces endroits "marchés du travail". À Hanoi,
des centaines de paysans y viennent chaque jour offrir leurs services, pour
n'importe quelle tâche et à n'importe quel prix
La rue Giang Vo à Hanoi abrite le plus grand Centre de foires-exposition
de la capitale. À l'extérieur, un marché d'un autre genre.
Sur les 500 mètres le long de la rue, une centaine d'hommes et femmes
attendent, de l'aube à la tombée de la nuit. Disponibles au choix
des employeurs, quels qu'ils soient. Ils acceptent toutes sortes de travaux,
pour un quart d'heure ou plusieurs semaines. La rémunération se
négocie au cas par cas.
Ainsi, pour déplacer un sac de ciment de 50 kg sur 100 m, le prix est
de 1.000 dôngs. La plupart du temps, on fait appel à ces demandeurs
d'emplois venus de la campagne pour des travaux du bâtiment : creuser
des fondations, porter des matériaux lourds, casser de vieilles maisons.
Des tâches pénibles, mal payées et qui ne demandent pas
de qualification. Depuis près de dix ans, Giang Vo est devenu le rendez-vous
habituel de ceux qui cherchent de la main-d'oeuvre à bas prix.
M. Binh, 38 ans, est venu de la province de Hà Tây, à 25
km de Hanoi, offrir ses services à ceux qui le lui demandent. "Auparavant,
je travaillais pour un chantier près d'ici, se rappelle-t-il. Un jour,
pendant une pause, je traînais par ici. Quelqu'un est venu me proposer
un travail mieux payé. Après, j'ai quitté le chantier pour
venir attendre ici tous les jours".
Lê Van Hung, originaire de la province de Thai Binh, témoigne :
"chaque jour, je dois attendre ici un emploi depuis 5 h du matin. On est
trop nombreux par rapport aux offres de travail. Mais c'est encore mieux d'être
là que de rester à la campagne à ne rien faire".
Nourrir la famille
À cause de l'explosion démographique, les paysans vietnamiens
ont de moins en moins de terres à cultiver. Les activités agricoles
leur permettent à peine de subvenir à leurs besoins alimentaires.
Par ailleurs, le boom de l'urbanisation à Hanoi génère
de nouveaux emplois. Giang Vo est le premier "marché de la main-d'oeuvre"
à Hanoi. Aujourd'hui, on en trouve des dizaines d'autres d'un bout à
l'autre de la capitale, comme Câu Giây, Kim Nguu, Giai Phong, Nam
Thang Long... Avec un travail, même précaire, à Hanoi, les
travailleurs comme Binh et Hung peuvent quand même envoyer 300.000 à
400.000 dôngs par mois à leurs familles. Dès 5 h 30 du matin,
été comme hiver, sous la pluie ou le soleil, ils sont toujours
prêts à travailler.
Il faut garder l'oeil ouvert en permanence pour repérer des employeurs
potentiels. Après, courir vite, pour avoir le boulot avant les autres.
Mme Lê Thi Thanh, originaire du district de Soc Son en banlieue de Hanoi,
fait quotidiennement 60 km à vélo aller-retour pour chercher un
travail à Giang Vo. "Parfois, je ne trouve rien pendant plusieurs
jours, et je dois rentrer chaque soir à la maison, la faim au ventre,
raconte-t-elle dans un soupir. Chaque semaine en moyenne, je trouve 3 à
4 journées de travail, payées en moyenne 20.000 dôngs chacune.
Pourtant, c'est mieux que de rester à la maison. Car nous n'avons que
très peu de terre à cultiver. Et dans ma famille, il n'y a pas
de métier supplémentaire".
Ces "travailleurs libres" prennent sur eux une part des travaux pénibles
des citadins. Ils effectuent des tâches lourdes, parfois dangereuses.
Assis au bord des trottoirs de Hanoi, ils attendent un petit boulot, patiemment.
Et jour après jour, la même attente recommence.
Dang Huê