Campagne d'épuration des intellectuels (1956-1957)

 

Le mouvement des "Cent Fleurs" né au Viêt Nam s'inspirait des premières expériences chinoises, qui aboutirent à la campagne Bai Hua qi fang lancée par Mao au mois de mai 1956. Il se forma à la fin de l'année 1956, qui avait été marquée par le rapport de Khrouchtchev. Le 20 septembre sortit des presses le premier numéro du journal L'Humanisme (Nhân Van), qui s'inscrivait dans le sillage du recueil Les Belles Oeuvres du printemps (Giai phâm mùa xuân) publié dès le mois de février par les écrivains. A l'automne 1956, les Hànôiens se ruèrent avec frénésie sur de nouveaux périodiques comme Terre Nouvelle, Cent Fleurs ou Franc-Parler, et découvrirent avec surprise - et satisfaction - que même les grands journaux officiels, comme Nouvel Hànôi (Hànôi moi) et Arts et Lettres (Van Nghê) avaient adopté un ton nouveau. La surprise devint stupeur, lorsque la vague frondeuse atteignit l'organe du Parti, Le Peuple (Nhân Dân) réputé pour son intransigeance.

La contestation regroupait les grandes figures du Hànôi  de cette époque, notamment le peintre Bùi Xuân Phai, l'historien et lexicographe Ðào Duy Anh, les poètes Huu Loan, Phùng Cung et Phùng Quan, Nguyên Huu Ðang, qui avait été très proche de Hô Chi Minh, le juriste Nguyên Manh Tuong titulaires de deux doctorats français, le vieux lettré Phan Khôi, l'écrivain Trân Dân, le philosophe Trân Ðuc Thao ancien élève de la rue d'Ulm et collaborateur aux Temps modernes de Sartre, le poète et musicien Van Cao auteur de l'hymne national du Viêt Nam.... Par le biais de la presse, outil traditionnel de la contestation, ils ne se privèrent pas d'évoquer les "libertés démocratiques", l'ouverture, la libre parole et le respect du droit.

Mais l'exemple de la Chine, l'intervention soviétique en Hongrie et le raidissement politique préconisé par le congrès des partis communistes à Moscou en décembre 1957 sonnèrent le glas de la contestation de Hà Nôi. Dans un article du 16 décembre 1957, Hô Chi Minh avait lancé la bataille contre "la mauvaise herbe de droite". Les revues Belles Oeuvres et Humanisme furent interdites. Leur procès fut fait au cours du Congrès par Truong Chinh en ces termes :

Les dirigeants du groupe "Nhân Van Giai Phâm" sont de vieux traîtres à la révolution, tel Phan Khôi, des trotskystes saboteurs tels Truong Tuu, Trân Ðuc Thao, des spéculateurs de la Révolution tels Nguyên Huu Ðang, des trafiquants de la culture tels l'éditeur Minh-Ðuc (Trân Thiêu Bao) ou des agents de l'impérialisme tels Thuy An (Luu Thi Yên), Trân Duy. Ils se sont abouchés avec quelques éléments réactionnaires de la bourgeoisie et ont entraîné dans leur sillage un certain nombre d'écrivains et d'artistes résistants, que la nostalgie de l'ancienne vie de débauche a ramenés dans le chemin de la corruption et de l'anarchie, tels Trân Dân, Lê Ðat, Hoàng Câm et Tu Phac.

En janvier 1960, épilogue attendu, un grand procès mit un terme aux "activités d'espionnage" des dissidents et condamna 5 personnes à de lourdes peines de prison : Luu Thi Yên (Thuy An) et Nguyên Huu Ðang, chacun 15 ans de prison, Trân Thiêu Bao, directeur de la maison d'édition Minh Ðuc - 10 ans de prison, deux complices Lê Nguyên Chi et Phan Tài - chacun 5 ans de prison. Après la prison, la peine sera suivie de résidence (surveillée), pour Nguyên Huu Ðang 20 ans de surveillance administrative; ce dernier vient d'être réhabilité.

Dès l'été 1958, les intellectuels, qui pensaient mal, furent ainsi envoyés à la campagne pour se familiariser avec la "vraie vie", celle du peuple, des brisures de riz moisi et du travail agricole et manuel

La maison d'édition Minh Ðuc se trouve au n° 25, rue Phan Bôi Châu, Hà Nôi, rez de chaussée : imprimerie, premier étage : bureau et habitation de l'éditeur des Belles Oeuvres et de l'Humanisme Trân Thiêu Bao, deuxième étage Nguyên Huu Ðang, 50 ans à cette époque, célibataire. La salle Majestic aujourd'hui salle Août (rap Thang Tam), rue Hàng Bài, est louée par les rares éditeurs privés pour présenter leur nouvelle publication, les Belles Oeuvres d'Automne y sont présentées et suivies de la projection du film japonais "Efforces toi à élever ton enfant". Les "espions" Nguyên Huu Ðang et Trân Thiêu Bao iront en prison et le gérant Hindou de la salle Majestic mourra dans des conditions mystérieuses.

La révolte des intellectuels n'est pas écrasée, bien loin de là, et tout le monde le sait. Le silence s'est fait devant la force brutale; leurs voix se sont tues, mais l'esprit ne peut mourir... Profitant d'une faille en 1986 - 1989, une nouvelle génération d'écrivains Bao Ninh, Duong Thu Huong (Paradis aveugle), Nguyên Huy Thiêp, Pham Thi Hoài... se sont exprimés puis immédiatement muselés.

Après la nordmalisation du Sud Viêt Nam en 1975, les communistes ont fait plusieurs campagnes d'autodafé des livres en 1975, 1976, 1977, 1981, 1985 et envoyé les écrivains, historiens, poètes, universitaires, ..., aux camps de concentration ou de rééducation pour anéantir et annihiler les Lettres Sud Vietnamiennes. Mais le phénix renaît de ses cendres en Europe et aux Etats Unis : Du Tu Lê, Duyên Anh, Lê Thi Thâm Vân, Mai Thao, Nguyên Sa, Nguyên Hung Quôc (Littérature vietnamienne sous le régime communiste 1945 - 1990), Nguyên Minh Cân (Le Parti Communiste Vietnamien à travers les bouleversements dans le mouvement communiste international, la Réforme Agraire), Nguyên Mông Giac, Nguyên Ngoc Ngan, Nguyên Vy Khanh (40 ans de littérature de guerre 1957 -1997), Nha Ca, Vo Phiên (Littérature du Sud Viêt Nam 1954 - 1975), ..., rejoints par les rescapés des camps Bùi Ngoc Tân, Doan Quôc Si, Hoàng Hai Thuy, Kiêu Duy Vinh, Nguyên Chi Thiên (Fleurs de l'enfer, Fournaise), Tuê Si, Vu Thu Hiên (Mémoires),...

 

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